Ancien nom du design et son évolution historique
Avant de devenir ce mot passe-partout, souvent galvaudé, « design » n’a longtemps été qu’un murmure en marge des grandes disciplines artistiques et techniques. Son histoire n’a rien d’un long fleuve tranquille : c’est une succession de heurts, de débats, de basculements, à la croisée de l’artisanat et de l’industrie.
Durant des siècles, « arts appliqués » et « arts décoratifs » étaient les termes de référence pour évoquer la conception d’objets mêlant utilité et esthétique. Mais à l’aube du XIXe siècle, la révolution industrielle bouleverse ce langage comme les pratiques. Les artisans assistent à l’irruption des machines, à la multiplication des objets produits en série : la frontière entre l’utile, le beau, et le reproductible s’effrite.
Plan de l'article
Des arts décoratifs au design : comment tout a commencé
Au XIXe siècle, impossible de croiser le mot design dans le vocabulaire des créateurs. On parle d’arts décoratifs, d’art décoratif. Paris et Londres se transforment alors en véritables laboratoires d’innovation. En 1851, l’Exposition universelle de Londres s’installe sous la verrière impressionnante du Crystal Palace, œuvre de Joseph Paxton. Cette prouesse architecturale, symbole du progrès industriel, marque un tournant décisif : désormais, l’objet se pense non seulement pour orner, mais aussi pour répondre aux exigences de production et de fonctionnalité.
Dans les salons parisiens, une profusion de meubles, chaises, mobilier s’expose : peu à peu, la standardisation gagne du terrain. Les créateurs s’interrogent : comment concilier la dimension artistique avec la logique industrielle ? William Morris, chef de file du mouvement Arts & Crafts, s’insurge contre l’excès de production mécanisée. Il prône un retour à l’éthique du travail manuel, tout en reconnaissant la nécessité de repenser la production pour ne pas sombrer dans la nostalgie stérile.
Les prémices d’une méthode
Ces bouleversements s’accompagnent de pratiques nouvelles, qui amorcent la transition vers le design moderne :
- Développement d’unités modulaires standardisées
- Émergence des principes d’organisation scientifique du travail
La France observe, expérimente, s’inspire. Dans les grandes manufactures, la notion de style s’efface peu à peu devant l’enjeu de la reproductibilité. Le terme « design » commence à s’imposer, lentement, alors que la tension entre l’héritage des arts décoratifs et la nécessité d’inventer une nouvelle façon de concevoir les objets devient palpable, sous l’effet des mutations industrielles.
Pourquoi le mot “design” a-t-il remplacé les anciens termes ?
Le changement s’opère au début du XXe siècle. En 1919, à Weimar, Walter Gropius fonde le Bauhaus, une école qui révolutionne la discipline et le vocabulaire lui-même. Le design naît d’une volonté de créer des objets adaptés à l’industrie, à la production de masse, à la vie moderne. Contrairement aux arts décoratifs, le design propose une approche transversale, associant architecture, graphisme, mobilier : tout est repensé à l’échelle du quotidien.
Des figures comme Ludwig Mies van der Rohe ou Marcel Breuer abolissent la frontière entre art et technique. Charlotte Perriand et Jean Prouvé poursuivent la même ambition : concevoir pour tous, avec précision et exigence, en cherchant à marier la justesse de la forme et la fonction. Le mot “design” s’impose alors, porté par l’internationalisation des échanges, la circulation rapide des idées, le besoin d’un langage commun entre créateurs, industriels, et usagers.
| Ancien terme | Nouvelle approche | Figures majeures |
|---|---|---|
| arts décoratifs | design industriel, design graphique | Walter Gropius, Mies van der Rohe, Charlotte Perriand |
| art décoratif | architecture moderne | Jean Prouvé, Marcel Breuer |
Le mouvement moderne, du Bauhaus aux avant-gardes de De Stijl avec Theo van Doesburg et Piet Mondrian, balaie les anciennes frontières. L’Union des artistes modernes, les expérimentations des années d’après-guerre, l’essor du graphisme : à chaque étape, l’idée d’un mot unique, fédérateur, prend tout son sens. Il s’agit désormais d’embrasser l’innovation et la transversalité, de repenser le monde à l’aune du design contemporain.
L’évolution du design : influences, ruptures et révolutions jusqu’à aujourd’hui
Le XXe siècle marque un véritable tournant. Les années folles voient s’imposer l’art déco : géométries franches, matériaux raffinés. Le streamline moderne façonne des objets aux lignes fluides, inspirés par la vitesse et l’aérodynamisme. Raymond Loewy illustre cette période charnière, en dessinant aussi bien des locomotives que des objets du quotidien, alliant l’utilitaire à une séduction nouvelle.
L’Europe n’est pas en reste. Alvar Aalto en Finlande, Arne Jacobsen au Danemark, Eero Saarinen entre le Michigan et Rome, incarnent une vision du design global : leur mobilier réinvente l’habitat, entre bois sculpté et douceur des formes. Outre-Atlantique, Charles Eames réinvente la chaise grâce au contreplaqué moulé, alors qu’en France, Roger Tallon transforme le design industriel en véritable méthode de réflexion et d’innovation.
Dans les années 1980, le collectif Memphis bouleverse les codes depuis Milan : couleurs vives, formes déstructurées, volonté d’écarter la norme. Voici ce qui caractérise cette vague :
- rupture avec le fonctionnalisme
- affirmation de l’esthétique comme langage
La scène française se réinvente : Philippe Starck impose un style audacieux, parfois ironique, mais toujours accessible. Aujourd’hui, design numérique et graphisme dessinent de nouveaux usages : interfaces tactiles, objets connectés, expériences immersives. Le champ du design se déploie, interroge les modes de production, les enjeux d’éthique et de durabilité. La révolution continue, portée par des créateurs qui renouent avec la soif d’innovation et l’esprit pionnier de leurs prédécesseurs.
Regarder le design, c’est saisir une histoire de ruptures et d’inventions, où chaque époque laisse sa marque et prépare la suivante. Qui sait à quoi ressemblera le prochain grand bouleversement ?
