Finance

Les investisseurs et l’irrationalité en finance comportementale

Il suffit parfois d’un tweet mal calibré ou d’un chiffre sorti à contretemps pour déclencher une onde de choc sur les marchés financiers. Les réactions dépassent souvent la logique pure et mettent en lumière une réalité moins lisse que celle des modèles théoriques. L’accès massif à l’information n’a pas effacé les comportements irrationnels : il les rend, au contraire, plus visibles que jamais.

Face aux cycles économiques ou à la volatilité de certains actifs, on observe des stratégies qui semblent aller à rebours du bon sens. Les décisions irrationnelles, loin de rester anecdotiques, laissent leur empreinte sur la valorisation des entreprises et alimentent des bulles qui finissent toujours par éclater.

La finance comportementale, une clé pour comprendre les décisions des investisseurs

La finance comportementale a bouleversé les certitudes sur le fonctionnement des marchés. Longtemps, la théorie de l’efficience des marchés a servi de boussole : chaque investisseur, parfaitement rationnel, traiterait l’information de façon optimale. Mais la réalité s’est montrée bien moins mécanique. Les travaux de Daniel Kahneman, distingués par un prix Nobel d’économie, ont mis en lumière les failles de la rationalité humaine. Le concept de rationalité limitée s’est imposé : sous la pression d’un flux continu de données, nos décisions sont régulièrement entachées d’erreurs systématiques.

Les biais qui façonnent la prise de décision sont nombreux et puissants. Le Journal of Financial Economics s’est fait l’écho d’une multitude d’études sur ces comportements atypiques. Certains investisseurs se croient invincibles, d’autres minimisent les dangers, beaucoup se laissent influencer par des signaux à peine perceptibles. Le comportement des investisseurs ne se résume pas à une formule mathématique : il plonge ses racines dans la psychologie, le ressenti, le passé personnel.

Pour mieux cerner les spécificités de la finance comportementale, il faut garder en tête quelques points majeurs :

  • La finance comportementale ne se limite pas à pointer les écarts de conduite. Elle offre des outils pour expliquer pourquoi les marchés s’écartent parfois de toute rationalité prévisible.
  • Qu’ils soient institutionnels ou particuliers, les acteurs des marchés sont exposés à ces mêmes mécanismes, quelle que soit leur expérience.

Remettre en cause l’efficience des marchés, c’est ouvrir la porte à une lecture plus nuancée des crises, des bulles et des effondrements. Cela permet de décrypter comment les investisseurs, souvent sans s’en rendre compte, élaborent des scénarios collectifs détachés des réalités économiques.

Pourquoi l’irrationalité s’invite-t-elle dans nos choix financiers ?

Lorsque vient le moment d’investir, ce ne sont pas seulement les chiffres qui dictent la marche à suivre. Sous la surface, des forces invisibles influencent la prise de décision. La finance comportementale a mis au jour la puissance des biais cognitifs, ces raccourcis de la pensée qui faussent l’appréciation des risques, brouillent le jugement et entraînent des erreurs récurrentes.

Le biais d’excès de confiance est tenace : de nombreux investisseurs se pensent mieux informés ou plus habiles qu’ils ne le sont réellement, ce qui les pousse à ignorer l’incertitude et à prendre des risques excessifs. Richard Thaler, l’une des grandes voix de l’économie comportementale, a montré que la croyance en sa capacité à surperformer le marché subsiste, même face à toutes les preuves du contraire. Cette illusion se retrouve à chaque emballement collectif, chaque retournement brutal.

Deux mécanismes, en particulier, se démarquent par leur impact sur les comportements :

  • Aversion aux pertes : la peur de perdre pèse souvent plus lourd que l’envie de gagner. Ce constat, mis en avant par Kahneman, explique pourquoi tant d’investisseurs conservent des actifs en chute ou vendent prématurément ceux qui prennent de la valeur.
  • Biais de récence : l’esprit accorde une importance disproportionnée aux derniers événements. Les choix d’investissement se calquent alors sur la dernière crise ou la dernière envolée boursière, ce qui accentue les variations de marché.

La prise de décision biaisée ne s’arrête pas à la porte des particuliers : elle concerne aussi les professionnels, à tous les niveaux. Des petits épargnants aux gestionnaires de fonds, personne n’est à l’abri. Les marchés deviennent alors l’arène d’une irrationalité partagée, où l’instinct prend le pas sur l’analyse, où le court terme écrase la réflexion de fond.

Jeune femme en tenue décontractée sur un marché boursier animé

Reconnaître ses propres biais pour mieux gérer son patrimoine

Identifier ses propres biais cognitifs est un passage obligé dès lors qu’on souhaite bâtir une stratégie de gestion de patrimoine solide. Même les investisseurs chevronnés ne sont pas à l’abri de l’aversion aux pertes ou de l’attrait pour la tendance du moment, quitte à négliger leur véritable profil de risque. Les études internes de BNP Paribas sont claires : la plupart des clients évaluent mal leur résistance à la volatilité au départ, puis ajustent précipitamment leurs positions dès que le marché s’agite.

Prendre du recul face à ces pièges psychologiques permet d’ajuster ses stratégies. Choisir de diversifier ses actions ou d’inclure des critères ESG dans ses portefeuilles n’est pas une simple question de tendance : c’est une manière d’équilibrer rendement, valeurs et protection. Pourtant, nombreux sont ceux qui s’accrochent à une stratégie devenue inadaptée, simplement parce qu’il est difficile de remettre en cause ses propres choix.

Voici quelques réflexes utiles pour garder le cap :

  • Réévaluer régulièrement son exposition au risque et l’ajuster au fil de ses évolutions de vie.
  • Confronter ses convictions à des données concrètes, surtout lors des périodes de panique ou d’euphorie collective.
  • S’informer en continu sur la finance comportementale pour anticiper ses propres réactions dans les situations imprévues.

Gérer son patrimoine, c’est accepter que l’humilité est parfois la meilleure alliée. Ceux qui admettent la rationalité limitée de leur regard sur les marchés s’offrent un avantage rare : celui de ne pas transformer chaque émotion en décision, et de préserver la cohérence de leurs choix sur la durée. Faire la paix avec ses propres biais, c’est sans doute la première victoire sur l’irrationalité.